mercredi 12 décembre 2012

L' humilité des matériaux employés...Arte Povera




L'Arte Povera en 7 visages





EN IMAGES - Dans les années 1960, émerge un nouveau mouvement artistique en Italie. Terre, verre, branches, cire, ses membres fondateurs se singularisent par l' humilité des matériaux employés, une certaine anarchie stylistique et une utopie toute intellectuelle. Le Kunstmuseum de Bâle (Suisse) raconte, jusqu'au 3 février 2013, l'histoire de cette génération italienne à travers la collection de l'ex-galeriste, Ingvild Goetz. Reportage au bord du Rhin, dans le sillage de Giovanni Anselmo, Alighiero Boetti et tous les autres (www.kunstmuseumbasel.ch)



Par Valérie Duponchelle




LE MONDE ENTIER DESSINÉ PAR ALIGHIERO BOETTI. Voilà un personnage digne des fables. Né à Turin en 1940, cet autodidacte partagea sa vie bohème d'artiste entre Turin, Rome... et Kaboul, à partir de 1971! Jusqu'à l'invasion soviétique de l'Afghanistan, en 1979, il transposa son atelier sur place et fit tisser par des femmes afghanes son interprétation très politique du globe terrestre et de ses frontières. Après cette date, Alighiero Boetti transposa son oeuvre au Pakistan et fit réaliser ses dessins, toujours par des Afghanes , mais dans des camps de réfugiés. Le MoMA, le Museo Reina Sofia et la Tate Modern à Londres ont accroché de façon spectaculaire ces cartes qui racontent l'évolution géopolitique du monde, avec la fraîcheur d'un dessin d'enfant et la réalité ouvragée du tiers-monde («Alighiero Boetti: Game Plan» ). Lors de la dernière Fiac au Grand Palais, la galerie Tornabuoni présentait une de ses trois plus grandes Mappa (270 cm de haut sur 5,8 m de large!) datée 1979-1985, unique exemplaire disponible sur le marché, les deux autres étant au musée et dans la collection privée de la famille. À Bâle, on peut savourer son humour en de boîtes lumineuses qui disent Ping Pong (1966), son art du Camouflage bien avant Andy Warhol (Mimetico, 1966) et ses merveilleux tryptiques qui recomposent l'alphabet au crayon à bille (Vedere I laterali, littéralement Regarder les côtés, 1972). Crédits photo : Courtesy Sammlung Goetz




UN MAÎTRE DU REGARD NOMMÉ MICHELANGELO PISTOLETTO. Comme son contemporain Martial Raysse le Français, ce grand gaillard piémontais, né à Biella en juin 1933, a su capturer la beauté d'une femme et la grâce de l'instant dans ses fameux miroirs (Donna sdraiata, littéralement Reclining Woman, 1967, pastel gras, crayon sur papier, sur surface en acier poli, 120 x 150 cm). Ce barbu au profil d'empereur romain, bel orateur plein de farce et de malice comme un Marco Ferreri des arts plastiques, commença à travailler les surfaces miroirs au milieu des années 1960. Ces tableaux à reflets invitent le spectateur directement dans l'oeuvre, ici une belle endormie, là une femme de ménage avec blouse et seau. On en a vu de superbes exemples à Venise, dans la collection François Pinault, au Centre Pompidou-Metz dans l'exposition Chefs-d'oeuvre?. Grand théoricien de l'art, Pistoletto fut en 2011, à 78 ans, le directeur artistique d'Evento à Bordeaux, édition résolument tournée vers le haut et les idées. Sous la tutelle de ce Jupiter bienveillant, par ailleurs fondateur d'une Cittadellarte à Biella, la bonne ville de Bordeaux a pisté l'utopie, le lien entre art et citoyen. Bâle raconte l'histoire d'un artiste et montre les tableaux peu connus de ce patriarche venu de la planète Arte Povera, improbables autoportraits criards, à l'huile et acrylique. On le préfère théorique, mûr et distancié. Crédits photo : Courtesy Sammlung Goetz




LA POÉSIE À L'ÉTAT PUR DE JANNIS KOUNELLIS. Né en 1936 au Pirée, Jannis Kounellis a quitté l'Académie d'Athènes en 1956, pour celle de Rome. C'est ainsi que ce Grec est devenu l'un des symboles du grand mouvement italien qu'est l'Arte Povera (on l'a encore vérifié au dernier Festival de Chaumont). À quoi tient l'art? Quel est l'équilibre qui génère la beauté des formes et traduit l'idée neuve de l'artiste? Cette formule vous est exposée dès le début de cette exposition, plutôt austère de fond, indigente en matière de scénographie. Ingvilg Goetz, ancienne marchande d'art, présente ici sa collection assez incroyable et fait la preuve de son oeil: trois superbes toiles, très tôt, de Kounellis jouent avec des chiffres et des lettres comme des volumes légers ou des oiseaux géométriques qui flottent en êtres animés (ci-dessus, Senza Titulo , 1959, 200 x 200 cm). Dans le catalogue qui pose les fondements de cette «Révolution artistique» que fut l'Arte Povera, cette femme de tête raconte comment elle acheta à un confrère une huile historique de Kounellis à la foire d'Arte Fiera de Bologne, en 1974, désertée par les amateurs d'art. Comment le marchand italien lui apporta vingt minutes plus tard la toile roulée - bien serrée - pour qu'elle l'emporte sous le bras en avion... Les craquelures qui sont apparues quarante ans plus tard l'empêchent de prêter ce «trésor pauvre» de 1961 aux expositions les plus prestigieuses. À voir à Bâle, donc. Crédits photo : Courtesy Sammlung Goetz





L'ITALIE EST D'OR SELON LUCIANO FABRO. On avait déjà vu L'Italia d'Oro de ce drôle de Turinois (1936-2007) à l'inauguration du Palazzo Grassi revu par François Pinault, au printemps 2006. C e gros bronze plaqué or suspendu à sa corde dorée date de 1971 et existe en cinq exemplaires (92 x 45 x 4 cm). Il était un peu à l'étroit dans cette première exposition vénitienne, qui traduisait la force de frappe et la boulimie d'action du collectionneur breton. A Bâle, c'est le numéro 1 de cette petite série que présente Ingvild Goetz. cette transposition ironique de la péninsule italienne est d'autant plus baroque qu'elle voisine avec les quatre autres oeuvres de Luciano Fabro, absolument délirantes. Un pied de coq géant en métal avec 3,36 m de soie jaune en guise de plumage (Piede, 1968-1971). Ou encore, un tableau blanc sur blanc comme un lit défait accroché verticalement sur le mur (Paio di Lenzuola con Due Federe, littéralement Paire de draps avec deux taies d'oreiller, 1968). Cet autodidacte fut professeur pendant vingt ans aux Beaux-Arts de Milan, et l'artiste de la péninsule abonné à la Biennale de Venise comme à la Documenta de Kassel. Il est dans tous les grands musées, de la Fundacion Miro de Barcelone au San Francisco Museum, du Centre Pompidou à la Tate de Londres. Crédits photo : Courtesy Sammlung Goetz




LES MESSAGES ÉTERNELS DE MARIO MERZ. Né à Milan le 1er janvier 1925, cet artiste est le roi de l'Arte Povera, celui qui fait rêver les autres artistes par sa combinaison inégalée d'intellect, de modestie des matériaux et de petits riens qui bâtissent la poésie visuelle (Impermeabile, 1966, en imperméable, bois, cire, néon, pièce mesurant environ 126 x 170 x 40 cm). Mario Merz (1925 2003) était étudiant en médecine, à Turin, quand il entra en résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, avec le groupe antifasciste Giustizia e Libertà. Au milieu des années 1960, il commença à travailler avec les néons et les lettres, les combinant avec des objets du quotidien, des bouteilles, des verres, des manteaux et des parapluies (Bottiglia, 1967, et sa bouteille vert sapin transpercée d'une flèche de néon). On reconnaît tout de suite une oeuvre de Mario Merz, artiste de toutes les Documenta de Kassel et de toutes les Biennales de Venise (1993 et 1997). Et pas seulement son fameux Igloo, son idéal de forme fonctionnelle et organique (cette version de 1984 avec ses plaques d'acier repose, heureusement, dans la longue salle la plus moderne du Kunstmuseum). Mario Merz est synonyme de suite de Fibonacci, mathématicien italien du XXIIIe siècle, qui inventa la formule du même nom: chaque terme de cette suite est la somme des deux termes précédents. Illustration à Bâle avec son Crocodilus Fibonacci, 1991, avec un spécimen prêté par le Museum d'histoire naturelle pour l'exposition, afin de respecter les dispositions de la CITES sur les espèces menacées. Crédits photo : Courtesy Sammlung Goetz




TOUTE LA TENSION VITALE DE GIOVANNI ANSELMO. La vie est un noeud gordien que rien ne peut reproduire ni résoudre, si ce n'est la coupure brutale de la mort. Giovanni Anselmo est né à l'été 1934, à Borgofranco d'Ivrea, dans la province de Turin. Sa légende est née en 1965, en plein Sud, sur l'île de Stromboli. À l'instar d'Ingrid Bergman ayant la révélation de Dieu miséricordieux en arpentant le volcan de Stromboli, le film culte de Roberto Rossellini en 1950, Giovanni Anselmos'y promenait lorsqu'il vit son ombre flotter dans l'air, sans plus d'attaches au sol. La gravité, le poids, les forces magnétiques, l'élasticité de la matière, les tensions nées de l'énergie devinrent le coeur même de son travail, à partir de 1967 (exposition historique à la Galleria Gian Enzo Sperone de Turin). On aurait rêvé de voir au Kunstmuseum de Bâle toute une forêt géante de ces Torsions qui plongent le mouvement du cuir dans un bloc de béton, isolent le pli intense d'un drapé contre un mur, comme par magie, bref retiennent le mouvement vital pour l'éternité. Vu le nombre et l'échelle plutôt restreinte des pièces, on reste un peu sur sa soif. Crédits photo : Courtesy Sammlung Goetz





LA BEAUTÉ AU NATUREL DE GIUSEPPE PENONE. «Rovesciare i propri occhi»,littéralement «Renverser ses propres yeux», est une photographie en noir et blanc de 1970, en toute petite édition de 4/7 (format de 39,5 x 29,5 cm). Né au printemps 1947, dans un village de partisans piémontais, Garessio, le bel Italien Giuseppe Penonea fait les Beaux-Arts à Turin, où il rencontra Giovanni Anselmo et Michelangelo Pistoletto. «Je peux vous parler de la sensation des petites feuilles rondes de peuplier tremble bougées par le vent, de l'écoulement de l'eau, du bruit du vent qui lui ressemble. Sinon, mes souvenirs sont les bois de cette région montagneuse avec leurs châtaigniers énormes de quatre mètres de diamètre, vides à l'intérieur, des arbres magiques qui pouvaient être une cabane. Les adultes n'avaient pas tellement de liberté mais, nous, enfants de l'Italie de l'après-guerre, la prenions tout simplement», a raconté au Figaro ce professeur passionné et un rien ombrageux, adoré de ses élèves aux Beaux-Arts de Paris. La nature de l'homme est toute entière dans son travail, comme on l'a vu à la Documenta de Kassel, cet été, avec son rocher suspendu en haut d'un arbre de bronze (Idea di Pietra, comme à Chaumont et l'an prochain à Versailles). Particulièrement touchante, sa photographie couleur baptisée Guanto qui compare une paume ouverte à sa réplique (empreintes digitales, chair et veines comprises) en fin gant caoutchouteux. La vie et sa vérité sensible tiennent à peu de choses. Crédits photo : Courtesy Sammlung Goetz












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