vendredi 28 décembre 2012

Une machine à remonter le temps? La photographie



Chefs-d'œuvre pile dans l'objectif








Vaslav Nijinski dans «La Danse siamoise» des «Orientales», 1910, par Eugène Druet, est accroché après le Chantier de l'Opéra de Paris, vers 1863, de Louis-Émile Durandelle, et avant Sa main ouverte, 1926, étude anonyme de la main d'Anna de Noailles. (BnF, Estampes et photographie). Crédits photo : don de la famille Néville-Blanche BnF, Estampes et photographie




 Par Valérie Duponchelle

La Bibliothèque nationale de France retrace l'histoire de la photographie en cent clichés exceptionnels sortis de ses collections.

Une machine à remonter le temps? En trois expositions magistrales et concomitantes à Paris, la photographie joue le rôle de la lanterna magica, sans lasser l'amateur ni décourager l'impétrant au savoir plus hésitant. C'est une gageure. Tant le format même de la photographie, sa nature par définition multiple et l'avalanche de détails techniques qui cernent sa qualité tendent à rendre toute exposition souvent éprouvante pour l'œil et l'esprit. Alors, trois expositions en rafale! Cela représente une belle moisson d'images et d'informations, a priori un Everest magnifique mais fort périlleux. Et pourtant, Paris mérite bien le titre de capitale de la photographie avec cette leçon en trois chapitres, clairs, vifs et entraînants comme un film d'aventures.
Acte I à la Bibliothèque nationale de France (BnF), celle tapie au fin fond du XIIIe arrondissement, au creux des ­quatre tours de Dominique Perrault. Comment résumer l'histoire de «La Photographie en 100 chefs-d'œuvre»? Démonstration faite avec brio par Sylvie Aubenas et Marc ­Pagneux, qui ont confronté leurs spécialités - elle est archiviste-paléographe et conservatrice générale, il est collectionneur et expert après avoir été galeriste - pour ne retenir que cent exemples parmi les millions d'images conservées à la BnF.
Ils exposent leur méthode à l'entrée: chaque image apportera un morceau du puzzle. Des icônes donc (le gamin au pistolet de William Klein, USA. New York, Amsterdam Avenue, 1954), mais aussi des trouvailles (le portrait du Domestique du premier ambassadeur japonais à Paris par Jacques-Philippe Potteau, 1862) et des redécouvertes (l'affiche de Jean Carlu et André Vigneau Pour le désarmement des Nations, 1932). Et, surtout, des cartels qui expliquent sans étourdir et qui racontent des histoires à chaque arrêt. De la science adoucie par l'art bref de la BD.

          Tourbillon moderne

Le premier chef-d'œuvre est d'une beauté chavirante, une Feuille de vigne poséepar William Henry Fox Talbot, directement sur le papier enduit de nitrate d'argent en 1839. L'image est violine sur fond or. Le cartel explique comment le grand inventeur britannique s'est battu pour fixer ses merveilles grâce au chlorure de sodium.
Le dernier chef-d'œuvre est intime puisqu'il nous emmène dans le jardin conjugal d'Émile Zola en 1895 à Médan. Autoportrait avec son chien Pimpin. L'écrivain barbu, couché dans l'herbe, a une double vie qu'il documente aussi par la photographie. Entre ces deux extrêmes se jouent mille scènes et styles. Des relations de voyage, de Chichen Itza en 1859-60 par Désiré Charnay, aux villages indiens du Nouveau-Mexique en 1873 par Timothy O'Sullivan, élève de Brady qui photographia comme lui la guerre de Sécession. De vrais répertoires de formes, des tatouages des Amazoniennes par Claude Lévi-Strauss aux graffitis de Brassaï. Des épopées et des anecdotes.
Acte II au Petit Palais , où l'on peut développer ce glossaire photographique en suivant Gustave Le Gray, le maître des marines (huit images pour rappeler son talent éclatant). Cet homme bien en cour ouvre très tôt une école à la Barrière de Clichy où se pressent une cinquantaine d'élèves, hommes et femmes, artistes, peintres, archéologues, banquiers, aristocrates et voyageurs (superbe épreuve de Roger du Manoir, mai 1853). Marc Pagneux revient au générique, cette fois avec l'historienne Anne de Mondenard, conservatrice au Centre de recherche et de restauration des musées de France. Pas de redites donc dans leur accrochage qui musarde, révèle la modernité d'Auguste Salzmann à Jérusalem et le talent original de Raymond de Bérenger dans ses chères Alpes.
Acte III au Centre Pompidou . «Voici Paris», de 1920 à 1950, recrée le tourbillon intensément moderne des nouveaux venus de Hongrie (Brassaï, Kertész, François Kollar), Berlin (Germaine Krull, Marianne Breslauer) ou New York (Man Ray, Berenice Abbott). En moins d'un siècle, la jeune discipline a déjà sa révolution.





«L'histoire de la photographie est en train de s'écrire»






INTERVIEW - Quentin Bajac, spécialiste français de la photographie, décrypte la portée de cet art.

Quentin Bajac, 47 ans, est chef du cabinet de la photographie au Centre Pompidou. «Voici Paris» y est sa dernière exposition avant son départ le 2 janvier pour New York, où il dirigera le département photo du Museum of Modern Art (MoMA).
LE FIGARO. - Qu'est-ce qu'un chef-d'œuvre en photographie?
Quentin BAJAC. - Je ne suis pas sûr que l'on puisse appliquer les notions d'histoire de l'art à la photographie. Le ­terme chef-d'œuvre est impropre parce que c'est un multiple et que la perception dans le temps de ces photographies ­varie. Je lui préfère le terme d'icônes, images référentielles dans l'histoire de la photographie. Le chef-d'œuvre me semble pleinement assumé par l'artiste qui veut synthétiser ses préoccupations formelles et intellectuelles. Alors que l'icône est faite autant par le photo­graphe que par le temps, par la diffusion qui distingue peu à peu une image.
Quels sont les exemples  de chefs-d'œuvre ainsi reconsidérés?
Le Boulevard du Templepar Daguerre, 1839, est une icône de la photographie disparue pendant longtemps avant d'être publiée en 1949. Les images des débuts de la photographie étaient alors extrêmement rares. Daguerre l'avait envoyée à un souverain européen. Le temps a fait sa rareté et la rareté a fait sa valeur. Inversement, Lartigue a fait de la photo toute sa vie sans vraiment ­réfléchir au devenir de son œuvre. Son image la plus célèbre est celle de son automobile qui prend un tournant dans un Grand Prix. Il n'en a pas fait grand cas à l'époque, il ne l'a pas publiée ­particulièrement ni mise en exergue. LePeintre de la tour Eiffelde Marc Riboud est publiée dans Lifeen 1953, puis oubliée pendant trente ans. Alors, à la faveur d'une exposition à la galerie Agathe Gaillard, elle fait mouche. Elle sera ensuite exploitée en cartes pos­tales, en affiches. Même chose avec LeBaiser de l'Hôtel de villede Robert Doisneau.
Y a-t-il une loi commune applicable à toute la photographie?
Il y a mille et une façons de faire de la photographie. Certains s'y adonnent en se positionnant comme artiste, comme le Canadien Jeff Wall par exemple (il a soutenu une thèse sur le mouvement dada et enseigné l'histoire de l'art au Canada). D'autres sont plus dans l'action et ­laissent le «regardeur» juger leur œuvre.
Pourquoi l'approche est-elle toujours si technique,  parlant si peu de beauté?
Du point de vue de l'antiquaire et du connaisseur, la rareté, la valeur, la ­qualité du tirage priment. Mais, avant tout, le chef-d'œuvre doit marquer un moment par sa richesse formelle exceptionnelle. Une définition du beau.
Les Vagues de Gustave Le Gray  étaient-elles tenues pour des  chefs-d'œuvre avant leur prix record grâce au Qatar à Londres en 1999?
Le Gray n'a pas fait qu'une vague, mais une série de marines. Celle de la vente Jammes chez Sotheby's à Londres était-elle la plus remarquable? La Vague briséeest plus belle, plus dépouillée (cette Mer Méditerranée, n° 15, 1857, est exposée dans «Les 100 chefs-d'œuvre» à la BnF). Cela prouve que l'histoire de la photographie, cette ­jeune vieille dame, est bien plus fluctuante que l'histoire de l'art, si balisée, si établie. Elle est en train de s'écrire.
Est-ce difficile de montrer  de la photographie?
La tâche est plus ardue qu'en peinture, sans doute. Elle répond à d'autres logiques, nécessite encore une bonne dose de pédagogie pour expliquer ce qu'est une photographie, cet art du multiple avec ses lois si précises. Beaucoup de photographes ont travaillé dans l'idée d'une série, d'un ensemble. Ne choisir qu'une image est couronner le fragment plutôt que la cathédrale. Comme si l'on ne montrait qu'un feuillet enlu­miné au lieu d'ouvrir un psautier entier et intact.
N'est-ce pas la rançon de la gloire?
Le Français Marc Riboud est connu pour deux images emblématiques, le Peintre de la tour Eiffel, 1953, et La Jeune Femme à la fleur, marche de protestation contre la guerre au ­Vietnam, 1967. Or Riboud a toujours questionné ses images, exposant ses planches-contacts, remettant en contexte ses prises de vue pourLe Peintre…, dévoilant des tirages couleurs pour La Jeune Femme… Dans sa pratique de photoreporter classique, il se doit de réfléchir en en­semble, en «picture essay», pour «faire un sujet» et raconter une histoire. En extraire la plus symbolique, la plus parfaite, nous prive de sa ­démarche profonde. Les chercheurs se passionnent aujourd'hui pour ce qui entoure ces «chefs-d'œuvre», planches-contacts, négatifs, ces ­stades préparatoires décisifs.












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