samedi 5 janvier 2013

Lille: La ville mise sur le fantastique




Lille réunit les maîtres 

du merveilleux






<i>La Tentation de Saint Antoine</i>, par Jan Mandjin.
La Tentation de Saint Antoine, par Jan Mandjin. Crédits photo : Valenciennes, Musée des Beaux-Arts

Par Eric Bietry-Rivierre

Avec Bosch, Brueghel et leurs émules, le Palais des beaux-arts compose un fantastique bouquet d'œuvres flamandes de la Renaissance. À voir absolument, avant le 14 janvier.


Il ne reste plus que quelques jours pour admirer la plus fascinante exposition de 2012. Elle a été conçue par Alain Tapié. C'est sa dernière en tant que patron du Palais des beaux-arts de Lille. L'heure de la retraite a sonné et on regrette déjà ce philosophe de la peinture, dont l'approche aussi pénétrante que truculente a séduit un public toujours plus nombreux. Le rayonnement du PBA est désormais international. Actuellement, Belges, Hollandais, Luxembourgeois, Allemands et Anglais se pressent aux côtés des Français. Le nez sur ces huiles composées dans les Flandres entre 1440 et la fin du XVIe siècle, ils s'effraient ou s'extasient. Mille et un démons, cocasses ou horribles, peuplent les compositions.
Alain Tapié invite à se reculer. À savourer d'abord l'atmosphère avant la profusion. À considérer les paysages. «C'est par lui qu'on passe de la réalité sensible au monde spirituel, dit-il. La nature, que les artistes représentent ici pour la première fois de manière réaliste, a toujours une portée métaphysique. Ce sont des espaces profonds, le reflet de la création divine.»
Aucun de ces tableaux n'a été exécuté pour une église. Ils étaient destinés à une méditation privée. On effectuait par leur intermédiaire une pérégrination men­tale. Il fallait suivre le chemin, souvent tortueux, du premier plan à l'horizon. Les propriétaires, nobles seigneurs ou riches marchands, les gardaient pour eux. Ou les montraient à leurs invités en les accrochant dans leurs cabinets.

           Éloge ironique de la folie

Car, dans le sillage de Jérôme Bosch, une mode s'était imposée: ces saint Antoine que des diables ou de vicieuses beautés tentent, ces saint Christophe géants qui portent l'Enfant Jésus sur leurs épaules, tous ces pieux person­nages étaient progressivement devenus des prétextes. On préférait ce qu'il y a autour. Ces êtres extravagants, en général cruels, émaillant des scènes bizarres, quasi ou franchement infernales. Griffons, hybrides, êtres difformes, sages coiffés d'un entonnoir, rois à califourchon sur un âne, peuple carnavalesque, hordes d'âmes damnées… On considérait ces sarabandes enragées comme des curiosités à grand spectacle. Du Barnum ou du Tolkien avant l'heure.
Telle cette jeune femme, probablement une allégorie de la chasteté. Elle se trouve enserrée dans une montagne de quartz. Plus loin, les rochers de Joos de Momper sont systématiquement anthropomorphiques, à la manière d'Arcimboldo. Ces images doubles révélaient l'invisible, le message caché du Père de tout. Aujourd'hui, devant ces aberrations, on se doute qu'il s'agit de hiéroglyphes volontairement énigmatiques, mais les fables, proverbes ou adages populaires qui les avaient inspirées sont à jamais perdus.
Chaque figure, chaque saynète, chaque panorama avait pourtant sa correspondance, indiquait une voie édifiante. Car, dans ces anciens Pays-Bas des premières lumières, la mentalité analogique n'était pas qu'un simple vestige archaïque. Elle se trouvait ravivée par l'humanisme érasmien. L'époque était à la critique de la bigoterie et des scolastiques ratiocineurs. En faisant l'éloge ironique de la folie, on appelait à un retour aux véritables idéaux chrétiens qui sont d'abord communion avec le monde ; mysticisme d'autant plus sincère qu'il est intime.
Une génération après Bosch, Pieter Brueghel ira vers plus de sérénité. Avec ces deux maîtres, quantité d'artistes de moindre envergure, souvent issus de leur famille ou de leurs ateliers, prospéreront. Cette veine du merveilleux, «ce surnaturel accepté», comme l'a défini l'essayiste Tzvetan Todorov, contaminera tout le bassin rhénan et descendra jusqu'à Rome. Aujourd'hui encore, comment ne pas voir dans la peinture de paysage un état d'âme? Tel est le legs de ces visionnaires flamands.
«Fables du paysage flamand», jusqu'au 14 janvier au Palais des beaux-arts, Lille (59). www.pba-lille.fr





Lille aux trésors


Par Valérie Duponchelle


La ville mise sur le fantastique pour la troisième édition de sa grande manifestation culturelle diablement efficace.

Lille 3000, c'est un programme bouillonnant d'événements patrimoniaux, artistiques ou simplement festifs qui entendent mettre la culture au cœur de la ville. Derrière le discours citoyen et ouvertement politique de sa maire, Martine Aubry, se bouscule donc une série de propositions très diverses avec, comme fil rouge, le thème du fantastique.
Cette troisième édition de la manifestation sème des étincelles dans la ville chère à Louis XIV qui réclama la Flandre au nom de son épouse, l'infante Marie-Thérèse d'Autriche. De son rattachement au royaume de France, officialisé le 2 mai 1668 par le traité d'Aix-la-Chapelle, au siège des Autrichiens en 1792, les Lillois firent preuve de résistance, sans perdre de leur gaieté. Lille 3000 trouve dans ce terreau à la fois historique et populaire, architectural, militaire et carnavalesque, la pierre angulaire d'un programme inattendu et fort réussi (la pieuvre géante deHuang Yong Ping à l'Hospice Comtesse).
Le Tri Postal n'est pas le plus beau des bâtiments de la métropole mais l'exposition «Phantasia» qu'il abrite y apporte un gros souffle d'«heroic fantasy», littérature anglo-saxonne fort codée, et fait oublier par l'absurde et le fantasque les réalités du chômage et de la crise aux portes de la gare de Lille Flandres. Là où François Pinault déclina ses fluos historiques de Dan Flavin et ses vidéos contemporaines dans Le Passage du temps, une dizaine d'artistes assez déjantés ont campé le décor entre le film de série B et le train fantôme kitsch. Un art teinté d'Halloween avec Folkert de Jong, coqueluche de la scène néerlandaise.

Photo montage d'Herbert Bayer, 1932, l'un des trésors prêtés par le Ludwig Museum de Cologne à Lille.
Photo montage d'Herbert Bayer, 1932, l'un des trésors prêtés par le Ludwig Museum de Cologne à Lille.

            Bosch et Brueghel

Tout n'est pas du meilleur goût (les squelettes de Théo Mercier, les sorcières de la Californienne Marnie Weber, Mrs Jim Shaw à la ville). Mais l'énergie qui s'en dégage est théâtrale en diable. Les costumes délirants, tout en boutons de nacre, fourrure, toupies, moufles, de l'Américain Nick Cage créent des vidéos étonnantes grâce au tonus de ce performer-né. Le Norvégien Borre Saethre y réinstalle sa licorne taxidermisée dans un long couloir étanche à la Kubrick. Ce merveilleux-là parle à la jeunesse, plus qu'à leurs aînés.

 Méditation de saint Jean Baptiste  de Jérôme Bosch, une des merveilles de l'exposition Fables des paysages flamands au Palais des beaux arts de Lille.
Méditation de saint Jean Baptiste de Jérôme Bosch, une des merveilles de l'exposition Fables des paysages flamands au Palais des beaux arts de Lille. Crédits photo : Madrid, Museo Lázaro Galdiano

Ces derniers se plongeront plus volontiers dans les arcanes de «La Ville magique» auLAM de Villeneuve-d'Ascq, tant l'impossible devenu réalité est un concept d'enfance qui ne s'éteint pas. Cette érudite traversée de la ville rêvée, fantasmée, inquiète entre les deux guerres, est fascinante comme leMétropolis de Fritz Lang. Les rêveurs d'hier levaient des yeux ébahis devant les gratte-ciel de New York, s'embarquaient dans le tramway tintinnabulant du Berlin encore intact, cosmopolite et débridé, arpentaient le luisant pavé parisien de Brassaï, et suivirent des femmes nues et figées comme des statues dans les gares lunaires de Delvaux. Beaucoup d'artistes à (re)découvrir dans cet accrochage dense, transversal, parfois confus comme un labyrinthe.
Curieusement, il y a un lien réel entre lesFables du paysage flamand, pure merveille avec ses Bosch, Brueghel et Joachim Patinir au Palais des Beaux-Arts de Lille, et le plus contemporain (la toile d'araignée en ruban adhésif du jeune duo austro-croate, Numen/For Use). Tous les enfants, de 7 à 77 ans, vont adorer «Otherwordly: optical Delusions and Small Realities», l'art des miniatures contemporaines exposées avec fraîcheur au Muba Eugène-Leroy de Tourcoing. Ces constructions d'optique mêlent l'amour fou du petit train, le goût des maquettes d'avion, la nostalgie du «Rosebud» de Citizen Kane coincé dans sa bulle de neige et une folie douce. La palme revient à Patrick Jacobs et ses micropaysages où l'herbe des prairies est faite en poils de chat! Fantastique, vraiment.
«Lille 3000, programme Fantastic», jusqu'au 13 janvier 2013.















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