mardi 21 mai 2013

Le Louvre étant le miroir de l'histoire, se trouve là miroité par moi-même.





Michelangelo Pistoletto au Louvre, un goût de Paradis




              INTERVIEW - Le musée parisien invite le patriarche de l'Arte Povera, né en 1933, à Biella, où il a créé sa «Cittadellarte». Rencontre avec un tribun, un conceptuel et un charmeur à l'italienne

           Comment un «artiste-visiteur» comme vous aborde-t-il le Louvre?

MICHELANGELO PISTOLETTO. - Je l'ai abordé comme tout le monde. En entrant, en regardant, en me promenant d'œuvre en œuvre. C'est une occasion exceptionnelle que d'y confronter mon travail sur le tableau-miroir qui prend son départ dans les fonds ors byzantins. J'aime pouvoir souligner ici cette relation ­directe. Mais entre ces deux points, il y a nombre de phénomènes, la Renaissance, le baroque, spécialement dans l'art italien… Donc, il s'agit de mettre mes œuvres en rapport avec le passé. Par le tableau-miroir, je peux joindre le passé et le présent dans le même regard, le même espace et le même temps. Le Louvre étant le miroir de l'histoire, se trouve là miroité par moi-même.
Que vouliez-vous souligner par votre installation? Que vouliez-vous éviter?
J'étais tellement engagé dans la recherche des bons lieux pour créer les bons rapports, je ne vois que le positif. Il s'agissait d'abord d'éviter de déranger. Dans la grande salle de la peinture italienne qui mène à La Joconde , on a décroché quelques tableaux, très peu, pour pouvoir photographier le tableau-miroir et voir la proximité des œuvres qui annoncent La Joconde.
Vous aimez «La Joconde»?
Pas plus qu'un autre grand tableau italien. C'est un mythe. Et maintenant je propose un autre mythe - le Troisième Paradis - pour le ­futur (rires). Les gens ont besoin de mythes. Je leur propose d'évoquer la réalité mais avec un surplus, une conception du réel.
N'est-ce pas la définition même de l'artiste?
Oui, bien sûr, mais dans le Louvre, on a tout concentré en un seul lieu. L'art est un reportage de l'esprit, la transposition du temps, de sa réalité dans quelque chose de durable. À travers l'art, on peut toujours voir quel est le concept d'un moment historique. L'art moderne, né au début du XXe siècle, a ainsi créé une autonomie de l'art qui n'a jamais existé au préalable. L'artiste a joui d'une liberté nouvelle et entière. Même le manque de représentation, c'est une représentation de la liberté.







Vous sentez-vous héritier de Marcel Duchamp avec vos tableaux-miroirs  qui reflètent le public du Louvre?
Marcel Duchamp a fait beaucoup, mais moi j'ai œuvré comme artiste seul, sans le connaître. À Turin, on ne voyait pas la Fontainede ­Duchamp, ni les autres de ces ready-made qui bouleversèrent New York ou Paris. J'ai découvert Duchamp très tard, à Paris dans la galerie d'Ileana Sonnabend (l'ex-épouse de Leo Castelli, NDLR) par Annina Nosei, toute jeune femme à l'époque et pas encore la grande galeriste de New York. Elle a écrit que le seul artiste avec lequel je pouvais entrer en consonance, c'était Duchamp. Et moi, je lui ai dit: «Qui c'est, ce Duchamp?» (Rires) Quand j'ai vu mes premiers ready-made, j'ai compris tout de suite la loi de l'objet trouvé, déjà à l'œuvre chez les Nouveaux Réalistes. Cela ne m'a pas frappé outre-mesure, j'avais vu Arman avant Duchamp! J'ai juste reconstruit l'histoire et rendu sa place à chacun. Longtemps après, j'ai vu qu'il y avait peut-être un rapport entre Le Grand Verre (œuvre inachevée de Marcel Duchamp de 1923, icône du Musée d'art moderne de Philadelphie) et le tableau-miroir. La différence est que Le Grand Verre nous fait toujours regarder dans la même direction de la Renaissance, c'est-à-dire devant nous avec la perspective et la ligne de fuite. Le Grand Verreempêche de passer. S'il se retrouve aujourd'hui à ­Philadelphie, c'est que finalement les États-Unis sont les grands ­objets trouvés! (Rires) C'est pour cela que les artistes américains du Pop Art ont fait le triomphe de Duchamp. Le ready-made, c'était l'Amérique, le projet définitif, le point final de la perspective! Tandis que dans le tableau-miroir, la perspective est renversée.
Vous êtes né dans la peinture, avec un père restaurateur de tableaux…
Oui, et le miroir emprunte à cette tradition, renvoie directement à la peinture, l'autoportrait. J'ai commencé à faire de la restauration à 14 ans avec mon père. Mes premiers tableaux furent d'ailleurs des autoportraits dont les fonds unis, monochromes et brillants, annonçaient le miroir (ils ont été exposés cet hiver auKunstmuseum Basel avec la collection d'Arte Povera ­d'Ingvild Goetz).
Le vrai changement est de passer de l'autoportrait classique de l'artiste à l'autoportrait collectif des spectateurs qui se reflètent dans l'œuvre de façon infinie. L'artiste n'est plus seul dans la toile, comme par le passé (je fais exception des Ménines de Vélasquez, une tentative d'incorporer le public qui relève plus d'un trucage que d'un principe). Il y avait tout le monde avec moi. C'est devenu un autoportrait du monde entier.
Michelangelo Pistoletto, exposition, conférences-rencontres, spectacle , musée du Louvre (Ier) Tél.: 01 40 20 50 50. Horaire: tlj, 9 h à 17 h 45, sauf mardi ; les mercredis et jeudis, nocturnes 21 h 30. À l'auditorium du Louvre, «Faces à Faces» avec l'artiste le 17 mai (Nicola Setari), le 22 mai (Jean-Max Colard) et le 30 mai (Aurélien Barrau). Jusqu'au 2 septembre. Cat.: «Michelangelo Pistoletto - année I, le Paradis sur Terre», Musée du Louvre  Éditions Actes Sud (180 €). DVD (39 €).










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