samedi 4 mai 2013

Un génie si puissant que la nature. Giotto



Giotto, le dieu terrestre








Grâce à des prêts exceptionnels, le Louvre peut exposer une trentaine de chefs-d'oeuvre de Giotto et son entourage. Un passionnant face-à-face entre le maître et ses élèves.

Les poètes ne tarissent pas d'éloges.Boccace, dans une nouvelle du Décaméron, écrit que «Giotto possédait un génie si puissant que la nature ne produisit rien, sous les éternelles évolutions célestes, qu'il ne fût capable de reproduire avec le stylet, la plume ou le pinceau». Dante le cite dans un chant du Purgatoire. Et selon Cennino Cennini: «Il a changé l'art de peindre du grec au latin.» Autrement dit, il est celui qui a su, après Byzance, donner à l'Italie un art national.
Le nombre de documents sur Giotto est beaucoup plus vaste que pour tout autre artiste antérieur ou contemporain. On vit en lui non pas un artisan mais un homme digne de gloire et d'honneurs, à l'égal d'un condottiere ou d'un homme de lettres; la peinture, regardée à l'époque comme un art manuel devint, grâce à lui, une discipline humaniste. Tous s'accorderont à reconnaître l'extraordinaire nouveauté de son style ; il sera admiré par Léonard et copié parMichel-Ange. Dès le cycle d'Assise (entre 1296 et 1298), du moins dans les fresques que l'on peut attribuer avec certitude à Giotto (La Mort du chevalier de Celano Le Rêve d'Innocent III), à la qualité monumentale du style s'ajoute une qualité expressive des figures qui supplante avec allégresse la formule byzantine qui dominait jusqu'alors.


Le paneau <i>Dieu le père.</i> (©Padoue, Musei Civici)

Dans un décor où s'inscrit la perspective, la vision de l'espace que nous donne Giotto est une immense nouveauté. Les personnages ne sont plus figés, les drapés enveloppent des corps qui ont leur poids de chair et s'affirment comme une unité plastique. Les regards se croisent, fixent, marquent les lignes de construction de la scène et emportent l'adhésion du spectateur avec une force surprenante. Les objets eux-mêmes, y compris les plus humbles, prennent soudain une importance nouvelle: la stupéfiante modernité de Giotto se révèle aussi dans ces détails-là. Cette recherche d'une réalité tridimensionnelle sera perçue comme une prodigieuse révolution picturale.
Après Assise et une étape à Rome, Giotto se rend à Padoue. L'ensemble des fresques qu'il peint pour la chapelle de l'Arena (1303-1305), dont il a peut-être été lui-même l'architecte, est illustré par des scènes de la vie du Christ et de la Vierge. L'artiste y aspire, écrit André Chastel, «à la conquête d'un style complet comparable à celui de la grande statuaire des cathédrales, trois quarts de siècle plus tôt».
Michel-Ange et Masaccio seront ses héritiers spirituels
Peintes en un temps étonnamment court, les 53 fresques témoignent en effet d'une organisation radicalement nouvelle de l'espace, mais aussi d'une alliance admirable de noblesse et de sérénité qui en font l'un des sommets de l'art chrétien. Après la chapelle, Giotto peint dans l'immense salon du Palazzo della Ragione la plus vaste évocation de planètes et de signes astrologiques que l'on connaisse, fresques aujourd'hui détruites et qui représentaient sans doute un horoscope monumental de la ville. On regrette de ne pas en savoir plus, et finalement, l'autre aspect de l'art de Giotto, ses oeuvres profanes, nous échappent à jamais.

                La renommée de Giotto dépasse vite les frontières de la Toscane

Quand Giotto est de retour à Florence, vers 1310, ses représentations picturales sont solides, tangibles, rigoureusement construites. Nul doute que les enseignements de la sculpture lui furent précieux dans ses recherches (la grande croix peinte du Louvre, qui vient d'être restaurée et que l'on pourra exceptionnellement voir recto verso, en est la preuve). Il reçoit la commande de plusieurs chapelles de la basilique de Santa Croce: Bardi, avec le cycle de la vie de saint François, et Peruzzi, avec des scènes de la vie de saint Jean Baptiste.
Désormais, la renommée de Giotto dépasse largement la Toscane et son «coup d'Etat pictural» gagne toutes les cours princières. Il est appelé partout dans la péninsule, jusqu'à Naples auprès du roi Robert d'Anjou où, à partir de 1328, il peint plusieurs ouvrages dont une galerie d'hommes illustres, aujourd'hui perdue. Pour faire face aux multiples demandes qu'il reçoit des cours et des villes, Giotto doit s'entourer de compagni, des assistants auxquels il fournissait projets et dessins, à charge pour eux d'exécuter fresques et tableaux.


<i>L'Approbation de la règle</i> (©RMN, Grand-Palais, Musée du Louvre, Michel Urtado)<i></i>


D'un style plus sec, plus raide, mais aussi plus populaire que celui du maître, les élèves infléchissaient la manière giottesque vers le pittoresque. Il n'était sans doute pas facile de se mesurer avec la solennité grandiose de Giotto.Sa mort, survenue en 1337, empêcha l'artiste de se rendre en Avignon, où le pape Benoît XII l'avait appelé. Son style aurait alors imprégné presque certainement toute l'Europe. Giotto resta donc une figure isolée. Après lui, pourtant, tout sera changé. Proust l'avait bien senti, lui qui disait avoir «eu le coeur chaviré» à Padoue et parlait de «l'étrangeté saisissante et de la beauté spéciale de cet art».
Giotto e compagni musée du Louvre, aile Sully, salle de la Chapelle, jusqu'au 15 juillet 2013.














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