mardi 11 juin 2013

Art Basel, trop d'art.



Alors que la manifestation ouvre ses portes en Suisse jusqu'à dimanche, enquête sur la prolifération des foires sur tous les continents.









Sil devait n'en rester qu'une, ce serait celle-là! À quelques heures de l'inauguration de sa 44e édition, l'institution bâloise semble indétrônable. Celle-ci a déjà étendu son empire à Miami pour drainer les riches collectionneurs d'Amérique du Nord et du Sud, avant de s'attaquer à Hongkong, bastion déjà important des enchères, pour conquérir le marché asiatique en plein boom. Depuis son rachat par Art Basel, la foire de Hongkong a largement évincé ses concurrentes Art Stage Singapore ou Shanghai Contemporary Art Fair dont le champ de tir reste surtout l'Asie-Pacifique. Pour son offre de premier choix, Bâle est donc la seule foire au monde à faire le trait d'union entre les trois continents. «Par sa force de frappe médiatique, c'est une vraie machine de guerre», affirme le conseiller et courtier Jean-Marc Decrop, spécialiste en art chinois, qui a ses bureaux à Hongkong.
En couvrant tous les domaines de l'art moderne et contemporain, cette gigantesque Bourse de l'art ne laisse aucune brèche. Dirigée par Jennifer Flay, la Fiac, qui a fait une incroyable remontée, n'a pas encore tenté d'exploiter son label malgré ses nombreux atouts. Elle symbolise pourtant une certaine passion française pour la culture, si prisée à l'étranger. Et en mettant certains de ses exposants en ballottage, sur une liste d'attente, elle entretient sa réputation. Seul Paris Photo, qui est dans une niche plus étroite, vient de monter une antenne à Los Angeles, sous la houlette de Julien Frydman, ancien directeur de l'agence Magnun
Dans les concurrents potentiels de Bâle, il y a l'enseigne Frieze, que le duo Amanda Sharp et Matthew Slotover a exporté outre-Atlantique. Sous sa grande tente blanche, à Randall's Island Park, au nord de Manhattan, la deuxième édition est un succès. Son atout? «Avoir lieu au même moment que les grandes ventes d'art contemporain de mai, chez Sotheby's, Christie's et Phillip's, et conjointement à de nombreuses expositions au MoMA, à PS1 et au New Museum ainsi que dans les meilleures galeries de Chelsea, ce qui donne une vision globale du marché, observe le jeune conseiller franco-belge Patrick Letovsky. À l'avenir, une foire toute seule ne pourra suffire.».
En quelques années, le marché de l'art a complètement changé de physionomie. De la mondialisation est né le système des foires, dont l'expansion semble irréversible. Et avec elle l'inflation des art advisors qui viennent de divers mondes, notamment celui de la finance, et se prennent au jeu de la collection. «À mon époque, on essayait, en tant que galeriste, de faire connaître ses artistes contemporains, observe Anne Lahumière, qui fut une pionnière à Bâle, il y a plus de quarante ans. On avait des ramifications jusqu'à Singapour. Il y avait beaucoup de passages dans les galeries, mais on ne voyait pas grand monde dans les allées d'Art Basel. Maintenant, c'est l'inverse. Tout le monde va dans les foires, plus personne dans les galeries.»
Les habitudes ont changé. Les réseaux aussi. «Si les marchands veulent avoir une visibilité, ils n'ont plus d'autres choix que d'investir en masse dans les foires», observe Étienne Hellman, ex de Christie's devenu directeur international en charge de la clientèle chez Sotheby's. Un engrenage qui pousse le niveau toujours plus haut, sans demi-mesure, laissant peu, ou pas, de survie aux galeries intermédiaires, comme celle de Jérôme et Emmanuelle de Noirmont. Forts de ce constat et du climat économique peu encourageant, ils ont décidé de mettre la clé sous la porte. D'autres, comme la galerie Di Meo, rue des Beaux-Arts, vont bientôt leur emboîter le pas.
«Trop de foires, trop d'art. Il faudrait tout arrêter pendant deux ans et remettre les compteurs à zéro», lance Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture nommé à la tête du Musée des arts décoratifs. C'est le même son de cloche pour Jacques Toubon, qui, las de cette course effrénée à l'argent, n'ira pas à Bâle cette année. Mais pour rien au monde, il n'aurait manqué la Biennale de Venise ou la Documenta de Kassel, où l'on prend une grande bouffée d'art. «Bâle, comme les autres foires, est un complément pour suivre la trajectoire des artistes, une opportunité pour découvrir de nouveaux mondes qui sont étrangers à nos habitudes visuelles, garder son esprit curieux en éveil», explique Suzanne Pagé, ancienne directrice du Musée d'art moderne de la Ville de Paris, qui préside aux achats de la Fondation Louis Vuitton.
Comment choisir dans cet immense échiquier de foires internationales qui pousse le collectionneur à faire le marathon de l'impossible? «Je reçois 300 invitations par an et plus de 35 cartes VIP, cela devient ridicule», lance la courtière parisienne Laurence Dreyfus. Outre les incontournables comme Bâle et Frieze, cette dernière a choisi de découvrir, cette année, la Foire de Sao Paulo, qui, face aux droits de douane exorbitants, a réussi à négocier des taxes d'importation de 15 à 20 % sur les œuvres d'art pour permettre aux galeries étrangères d'y participer. Pour sa collectionneuse Cristina Bicahlo et son mari, qui ont fait fortune dans les organisations de voyage, elle a réussi à acheter pour 65.000 dollars une œuvre de Jacob Kassey qu'ils n'auraient jamais pu acquérir à Frieze ou à Bâle.
Il faut donc observer les marchés et jouer avec les contextes socio-économiques et politiques. En déclin, la foire d'Istanbul a changé ses dates, mais l'actualité n'est pas à la stabilité. Berlin a périclité en cinq ans parce que les galeristes allemands n'ont pas joué le jeu. Marrakech a disparu aussi vite qu'elle fut créée. Jolie initiative, Beyrouth tente de percer sur le marché du Moyen-Orient, dans un climat d'insécurité, à quelques kilomètres de la Syrie. Mexico n'est pas le pays qui rassure les collectionneurs. «Il faut aller là où l'on a des affinités culturelles, explique Nathalie Obadia. Il ne faut pas arriver en terrain conquis.» L'année dernière, cette Parisienne est allée à une triennale de l'art en Australie. Cela lui a assuré un socle de collectionneurs, philippins, coréens, australiens, qui n'ont pas le temps d'aller à Bâle. Grâce à cela, à la foire de Dubaï, elle a mis dans son fichier une des plus grosses fortunes des Philippines. Les foires sont bien une géographie de la nouvelle richesse mondialisée.
Du 15 au 19 juin, à Bâle. Suisse www.artbasel.com





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