samedi 6 juillet 2013

Itinéraire de l’image à travers les îles des Caraïbes






Et que dira-t-on du cinéma, magnification
de l’image dans tous ses aspects?
Alejo Carpentier







Par, Yolanda WOOD
Peinture de Francisco Rivero

Un évènement particulier s’est produit dans les terres dispersées de la mer des Caraïbes à l’aube du XXIe siècle. Parmi les îles de cet archipel on a installé des ponts de communication et d’échange, et chacune d’elles fut la station d’accueil sur le trajet d’une route cinématographique, la « Première Présentation itinérante de films des Caraïbes », (1) un évènement culturel très nouveau dans la région.
Les itinéraires enfilent des territoires réels et symboliques. Dans les disséminations des archipels, les itinéraires sont des trajets d’interconnexion qui servent à briser l’isolement de ces corps flottants – que sont les îles – chacune d’elles assiégée par sa condition d’être. On dirait qu’elles sont toutes faites de point de partie et d’arrivée avec leurs nombreux bords d’aire et d’eau. Mais les cartes ne révèlent pas toujours les particularités d’une géographie culturelle et sont nombreux les facteurs conditionnant les distances et les proximités, au-delà des évidences cartographiques. Dans ce treillis où s’approchent et séparent les espaces dans l’arc successif des îles – majeures et mineures – de la mer des Caraïbes, s’est édifié une volonté d’approximation qui a des racines historiques, mais qui est devenue intensément active depuis la deuxième moitié du XXe siècle jusqu’à nos jours. Une présentation itinérante a construit des circuits de liaison et de relation. Elle a, dans les profils de son parcours, une intention d’associer sans méconnaître la complexe diversité du milieu caribéen et de chercher le dialogue et les rapprochements dans ce contexte pluriel. La Première présentation de films caribéens, inaugurée en 2007, s’inscrit dans ces fondements si utiles et nécessaires à la conception d’une géographie-autre pour les peuples de la mer des Caraïbes.
Le mot balkanisation a fréquenté le lexique régional pour dénommer cette atomisation des territoires par les histoires coloniales fragmentées, les différentes langues et les religions imposées, pour n’indiquer que quelques une des évidences les plus grandes. Les contradictions intermétropolitaines nées en Europe ont ouvert plus tard les brèches de séparation et ont eu des répercussions –et des conséquences- dans cette autre partie du monde occidental où les empires et les royaumes avaient installé leurs étendards. Briser l’isolement de cette région est en soi un acte légitimateur d’une caraïbénité latente qui a acquis expression et sens chez les sujets individuels et collectifs.  Dans la multiplicité d’ethnies, amenées et utilisées en tant que main d’œuvre pour l’utilisation productive de nos territoires sur le marché international, bien connu par sa triangularité, se trouvé le germe des nouvelles sociétés où a eu lieu le processus culturel d’hybridité systématique et de fusions humaines surprenantes.  Dans toutes les expressions artistiques, l’effet a été le mélange et la synthèse de ces origines diverses, différemment combinées, ce qui apporte aux Caraïbes leur plus grande richesse culturelle dans la formation de « peuples nouveaux » comme les a appelés Darcy Riveiro, détenteur d’une diversité profondément endogène, résultat de cette symbiose impressionnante.
Qu’un projet culturel ressemble le lieu où il surgit et le public auquel il s’adresse, est une qualité qui peut distinguer, dans une grande mesure, son efficacité et sa portée en termes conceptuels et dans les pratiques de sa réalisation. La conception itinérante de cette présentation est une contribution qui la rend un événement unique dans chaque territoire : une rencontre d’îles dans chaque espace insulaire.  Dans ce transit sur la carte des Antilles, ce projet introduit une modalité dynamique et participative, multiplicatrice, qui se personnalise –cependant- à chaque rencontre et à la manière propre de chaque endroit, tout en forgeant une communauté culturelle des cinématographies caribéennes, qui ne sont pas uniquement méconnues entre les pays mais aussi ségréguées des circuits de distribution et exhibition régionaux. Le travail conjoint des coordinations locales et du comité organisateur international a construit un réseaux d’intérêt communs, de travail intégrateur, de formulation de critères sélectifs de la Présentation et de sa structure d’exhibition et promotion elle-même.






Le cinéma a réussi à entamer un projet de référence dont les antécédents pourraient être cherchés dans deux rencontres de grande importance dans la région : Carifesta, créée en 1972, qui continue d’exister actuellement convoquée par CARICOM lors de ses éditions récentes et la Route de l’esclave, sous le patronage de l’Unesco, également structurée sous forme d’un ensemble de comités locaux composés de personnalités et institutions de grand renom.  Dans les deux, de même que dans la présentation cinématographique, cette projection régionale, intégrative et itinérante a été réussie.  Autres manifestations artistiques ont fait des tentatives mais avec des maigres résultats. Cependant, ces deux rencontres mentionnées ont concrétisé une trajectoire d’enfilages culturels dans la région, et ont mis les communautés antillaises en fonction de la recherche de chemins pour le dialogue à travers la culture.  Le cinéma a une chance dans cette expérience, et ce sont les nouvelles technologies de production et les supports numériques qui agissent en tant que facilitateurs, à cause de la réduction des volumes et d’échelles, de la tâche compliquée de construire un circuit dans une région du monde où persistent tant de difficultés en matière de connectivité, notamment dans ses moyens de transport. Comment imaginer quelque chose de semblable avec les lourdes bobines de 35 mm….  
Mais, d’autre part, et c’est l’essentiel, on a essayé de mettre en valeur avec cette présentation une cinématographie créée à partir d’un espace non légitimé et identifié comme subalterne, selon la carte culturelle des centres hégémoniques, tracée dans les temps de cette autre ère globale, celles des universels modernes implantés par les dominations métropolitaine depuis plus de cinq cents ans et que –dans des nouvelles circonstances- acquière des nuances d’une plus grande complexité avec ses tendances néolibérales contemporaines. Promouvoir un cinéma du Sud, chargé de signes de résistance qui naissent du treillis socioculturel caribéen lui-même, de ses réalités et de ses avatars, des dimensions temporelles de son passé et son présent, si confondus dans les imaginaires qui pensent –à l’intérieur – la complexité régionale, c’est un lancement, une mise en mouvement pour dynamiser les idées et changer des paradigmes instaurés par les systèmes de la valeur symbolique.
Le voyage de ses imaginaires et leur mise en circulation à travers les îles des Caraïbes sur un support audiovisuel devient une contrepartie libératrice face au trafic monopolisé des grandes transnationales de la production cinématographique. Comment faire qu’une présentation itinérante puisse générer la stabilité d’un « itinéraire » qui présente la cinématographie caribéenne parmi nous et au-delà de nous ?  Comment dépasser ce qui est incident dans le spectacle cinématographique pour encourager la production, la qualité du produit et sa circulation ?  Ce sont les défis qui surgissent quand on fait quelque chose dans des pays où il y a tant à faire. Quand on révise les documents qui ont donné origine à ce projet et de sa marche continue, on voit apparaître les réponses à ces questions et d’autres thèmes essentiels qui font penser que la présentation est seulement le moment public et d’exposition du projet. On réfléchit dans ces documents sur la formation spécialisée, la création d’un public pour l’audiovisuel caribéen à travers –également- la télévision, l’augmentation de la fréquence d’exhibition dans les programmes d’exhibitions dans les rencontres et salles de cinéma et la convocation de colloques et de débats sur la production régionale.  
Un détail qui revêt la plus grande importance est la conscience patrimoniale du projet avec la fondation de la Cinémathèque des Caraïbes en tant qu’une autre possibilité que la dispersion et l’oubli.  Ce recueil de matériels sédimente le projet et le fait transcender dans les fonds qu’il apporte à l’histoire de l’audiovisuel dans la région.  La création d’une banque de données, la mise en disponibilité de ce catalogue au service public à travers les impressions et les moyens électroniques, la mise en place d’un système référentiel pour les spécialistes et les personnes intéressées, constitueront une contribution fondamental au travail de diffusion et préservation.  C’est l’itinéraire informative et documentaire grâce auquel on peut construire d’autres canaux sélectifs pour les connaissances, des voies pour la navigation à travers le cyberespace tout en traçant des routes de communication et en concevant des trajectoires de circulation digitale.
On fait recours, de cette manière, au développement d’une mémoire en tant que clé historico-culturelle. La présentation a inclus dans ses programmations la reconnaissance d’auteurs et des ouvrages qui distinguent des moments emblématiques d’une cinématographie qui conçoit sa propre route à travers le temps. 
On trouvera dans le recueil de cette succession des visions du monde totalement inédites, nées dans les Antilles sur un support audiovisuel. Lors de sa première édition, 30 films ont parcouru 18 pays insulaires et des présentations eurent lieu dans plusieurs villes du Venezuela et des Etats-Unis, ainsi que de pays d’Europe.  Un parcours multilinguistique distingue un autre mérite fondamental de la présentation : le travail des traduction vers l’espagnol, l’anglais, le français et le créole dans le cas de certains films. Avec cela, la première présentation cinématographique révèle la complexe dimension culturelle des itinéraires caribéens pour qu’ils ressemblent la région des Caraïbes elle-même et soient des véritables alternatives de liaison face à la discontinuité des espaces insulaires, non seulement à cause des facteurs qui conditionnent l’histoire mais aussi des dessins capricieux de leurs cartes.
Et il arrive que les pouvoirs de l’image ont eu un impact si grands sur la construction des Caraïbes dans le temps.  Dans ce long trajet, plusieurs images d’observateurs divers ont fait de ces îles le terrain propice pour la représentation d’énigmes, désirs et fantaisies. Le voyage a été la rencontre pour établir contact, et comme les observateurs sont venus de quelque part, et que leurs provenances furent nombreuses, le regard sur l’inconnu s’est multiplié et il est devenu kaléidoscopique.   Cependant, ces images n’on pas eu toutes la même chance et n’ont pas atteint une visibilité identique, parce que la stratification sociale implantée a marginalisé et ségrégué. La tâche récupératrice acquière donc des nuances légitimatrices dans le contexte insulaire.





Tout a commencé depuis le vieux temps quand la navigation a transformé la mer en chemin de liaison entre les terres proches et distantes. Avant que la connaissance de la sphéricité de la terre, cet évènement géographique qui marque un avant et un après dans l’histoire de la planète, ne se complétait, ont commencé à apparaître les canoës des Arawaks continentaux, les sommets d’une cordillère submergée qui décrivaient un véritable arc insulaire : les Antilles. 
Ce fut le trajet symbolique des véritables découvreurs. Ils ont parcouru les îles et les ont nommées en se déplaçant du sud vers le nord. Cependant, c’est le voyage transatlantique qui a fait que les Caraïbes deviennent une image dans les textes et dans les premiers documents cartographiques que l’imprimerie en Europe se chargerait de mettre en circulation. C’est comme ça qu’a commencé l’itinéraire d’une relation texte-image pour les îles des Caraïbes qui, depuis ses premières versions, a été marquée par le signe de l’altérité et les regards croisés.  Il s’agissait des premiers regards d’Amérique –dont on ne parlait pas à l’époque- qui parcouraient le monde.  La virginité de son espace fut le lieu propice pour y installer le royaume des réalités et des utopies. Ce fut tout d’abord la lettre, quand Colomb et les nombreux chroniqueurs ont eu un impact sur l’Europe avec leurs lettres et leurs histoires de voyage où ils décrivaient l’existence de ce nouveau lieu qu’ils avaient trouvé, où les hommes et les femmes, nus comme ils avaient été mis au monde par leurs mères –selon les propos de l’Amiral-, coexistaient avec des êtres qui avaient été vus uniquement dans les pages des bestiaires médiévaux, des figures qui pullulaient dans les forêts profondes ainsi que dans les mers et les rivières surprenantes.  Ces histoires de voyageurs et d’autres histoires ont été des narrations fondatrices d’images.  Un monde visuel se construisait à partir des textes génésiques.  La solennité de ce qui avait été écrit par les cultures lettrées européennes et les histoires des aventuriers racontées dans « les quartiers » ou les jours de foire avant de retourner aux Indes (2) conféraient la plus grande véracité a tout ce qui avait été raconté. « J’ai été là-bas, je l’ai vu. » Des jongleurs et des voyeurs, ou vice-versa.
C’est alors que la gravure, qui présuppose le dessin, a agit en tant que support du discours, et plus que transcripteur, elle fut la porteuse en soi-même d’une image qui devenait une référence visuelle dans les arts plastiques.  Certaines de ces images ont apparu associées aux textes des chroniqueurs ou provenaient d’autres textes précédents comme il arrive avec certains dessins qui illustrent la « Charte de Colomb » dont les gravures sont attribuées à Durero lui-même.(3)
Les textes ont guidé le crayon et la rouge des artistes graphiques et ont aussi éveille chez eux de nouvelles facettes imaginatives entre le textuel et l’audiovisuel. Les dessins de Girolamo Benzoni et Théodore de Bry, par exemple, suivent les tendances stylistiques de la tradition européenne dans leur langage plastique. L’altérité dominait le panorama des réalisations et se succédaient les versions sur des versions en tant que référents d’une visualité antillaise.
Avec le flux des plantations, les produits arrivés des îles donneraient la deuxième image paradisiaque des Caraïbes (la première avait été créée par Colomb lui-même face au panorama indescriptible des nouvelles terres et des mystères qu’elles renfermaient et qui étaient pour lui indéchiffrables), tandis qu’ultérieurement, l’espace de la baraque et les conditions de vie imposées aux esclaves, créaient la vision infernale des plantations. Deux versions confrontées qui se décrivent simultanément dans plusieurs récits de pèlerins et notamment dans la sensibilité aiguë de certaines voyageuses comme on peut le constater dans l’excellent recueil du docteur Nara Araujo, publié dans la collection Nuestros Países, du fond éditorial Casa de las Américas.(4)
Le tabac, le rhum et le café ont apporté des saveurs et des odeurs inconnues en Europe. Ce fut un moment plus sensoriel où mentionner les Antilles était stimuler le palais et le sucrer, tandis que les tortures des esclaves polarisaient les textes et les images.  Le paradis et l’enfer se réunissaient dans les Caraïbes en tant que parcelles racialisées, réelles et symboliques. Les textes et les images de ces temps-là ont été des sources essentielles de la reconstruction de scènes et d’atmosphères cinématographiques. Ces très vastes gammes de registres sont un important patrimoine documentaire pour le travail contemporain dans la région des Caraïbes parce qu’elles mettent en évidence un genre de société de plantation dont on surgit les insulaires mélangées avec toutes leurs contradictions de race, genre et classe, leurs marginalisations et symbioses, leurs marronnages et résistances. C’est là que tout a commencé. Autres disciplines artistiques et scientifiques, la littérature et l’histoire, la sociologie et les arts sont des nutriments de la cinématographie caribéenne contemporaine dans sa possibilité d’offrir non seulement les dialogues interdisciplinaires que le cinéma requière, mais aussi de remuer des histoires qui sont maintenant portées à une nouvelle dimension visuelle du grand écran, racontées par nous-mêmes.  Dans ce sens, ce cinéma émergeant est un projet revendicateur de la pensée. Et de la pensée caribéenne il doit se nourrir pour énoncer les essences les plus authentiques de sa propre identité.






Un moment décisif fut apporté par la mobilité de la population et les nouveaux besoins de main d’œuvre après l’abolition de l’esclavage. C’est à ce moment-là que les déplacements deviennent plus intenses et s’aggravent les marginalisations des Africains et de leurs descendants. L’arrivée des Chinois, hindous et d’autres immigrants en provenance de l’Asie font de plus en plus des Caraïbes un espace carrefour. Les images photographiques font un compte rendu de ce processus qui a produit des effets très importants sur la culture populaire, les traditions et les complémentations de la caraïbénité entre les îles.
Au XXe siècle, la photographie apporte une nouvelle dimension à l’itinéraire de l’image caribéenne. Les arts de l’écriture, la musique, la danse et les arts plastiques se compénètrent progressivement dans la construction de nouveaux langages.  Les visions et tentatives de pénétrer d’une autre façon la réalité insulaire se superposent et apparaissent les noms indispensables qui dans les différentes langues et manifestations artistiques construisent une pensée caribéenne.
Les milieux pour l’invention et la création que facilitent les îles ont trouvé les chemins exploratoires de redécouvertes nouvelles et diverses.  Contrairement aux anciennes définitions, les îles des Caraïbes n’ont pas été pour les artistes de la région ni des espaces paradisiaques ni évasifs. C’est peut-être dans son manque de virginité que l’artiste trouve sa plus grande originalité.  Le temps les a rendues socialement et culturellement différentes, et c’est précisément là que se trouve l’univers authentique de leur identité.  La production cinématographique s’est insérée dans ce monde de références culturelles, décisives pour les imaginaires insulaires.  Cela revêt une énorme importance à cause de la transversalité que la réalisation cinématographique requière, étant donné que les artistes contemporains rêvent des îles en les vivant intensément et en les confrontant avec leurs circonstances. Quelque chose de commun les entoure : les mystères de la création artistique qui renouvellent la dimension insulaire et la placent sur les axes polémiques de ces temps. Il est probable que personne, mis à part les artistes des Caraïbes, conservent l’héritage d’une profession disparue : celle de découvreur des îles, réelles ou imaginaires, mais enfin, des îles. Leurs expéditions sont une aventure d’investigation critique qui renouvelle les espaces prodigieux de l’insularité pour d’autres récits possibles du début de ce nouveau millénaire.
Le cinéma a commencé à s’activer dans les îles avec les déphasages propres aux échelles des territoires et à leurs différents niveaux de développement.  Simultanément, l’industrie touristique a affleuré en tant que nouvelle forme de viabilité économique aux Antilles, soumise au fait systématique de l’objectif, de l’œil et du regard, du nôtre et des autres, à l’exotisme, et à l’altérité de ce qui viennent et de ceux qui y sont.  Pour le nouveau voyeur, capter des images est une manière de vérifier et constater.  C’est le moment visuel par excellence dans la construction de l’imaginaire de ces voyages aux temps contemporains et, avec lui, de celui de tant de fétiches ratificatifs de l’aller-retour desdites destinations multiples des Caraïbes. Dans cet espace constructeur des nouvelles fables visuelles des plaisirs tropicaux, la publicité n’a pas agit avec ingénuité et sur elle est concentrée en bonne partie l’image photographiée des îles, ses circuits de croisières et les offres de soleil et plage… et parfois plus.  Si nous recherchons le mot Caraïbes sur Internet, les évidences apparaîtront sur l’écran.

Entre l’une et l’autre alternative, affleure le regard du cinéma caribéen pour créer une mise en valeur culturelle – avec toutes les arts que le cinéma intègre- sur l’itinéraire de l’authenticité culturelle et encourager, promouvoir et essayer de nouvelles possibilités pour la création, la circulation et la confrontation publique de leurs œuvres. Il s’agit d’une véritable traversée à la rencontre d’une observation-autre qui puisse se projeter afin « d’assumer pleinement la virtualité expressive de l’image visuelle » (5) des Caraïbes.

C’est justement dans le contexte d’une région si diverse, que le cinéma caribéen assume la réalisation d’un projet avec des pays qui n’ont pas une base industrielle solide, ni des centres de formation. Ils ont assumé la réalisation cinématographique dépourvus des appuis nécessaires, avec les plus diverses alternatives de production et à un moment d’avalanche de nouvelles technologies, dont l’extension de la télévision – pas toujours mise au service des meilleurs intérêts culturels- et le monopole diffuseur des puissants circuits internationaux. Tout un défi.  Les expériences de l’ICAIC, l’École internationale de cinéma et télévision de San Antonio de los Baños, et le Festival du nouveau cinéma latino-américain ont pu offrir des antécédents à cette présentation du cinéma caribéen au début du XXIe  siècle. Cependant, seulement d’une manière ponctuelle, les cinématographies d’autres pays insulaires antillais ont été présentes dans les programmations de l’ICAIC et ont eu une visibilité dans ses salles de projection et les chaînes de télévision qui s’occupent du cinéma. L’ICAIC, en assumant une responsabilité importante dans la Première Présentation itinérante des films des Caraïbes, ne met pas uniquement sa pratique au service de la cinématographie régionale. Il est en train de créer une plateforme d’échanges qui seront mutuellement enrichissants.  Cuba ne se situe pas toujours face à sa dimension culturelle caribéenne, dans sa profonde interconnexion antillaise et son insularité enracinée. Ce projet bénéficiera les Caraïbes insulaires à cause de son caractère et son sens, mais il sera extraordinairement utile à Cuba, qui élargira sa compréhension et son appartenance à cette communauté culturelle, en plus de celles latino-américaine et continentale.
Ce projet cinématographique se joint aux efforts collectifs voués à la reconnaissance mutuelle qui ont donné lieu à d’autres rencontres culturelles d’une grande signification telles que les biennales de l’art des Caraïbes et l’Amérique centrale en République dominicaine ; le Colloque international sur « La diversité culturelle dans les Caraïbes », organisé par la Casa de las Américas, le Premier Congrès d’écrivains des Caraïbes organisé par la Guadeloupe, et d’autres moments également ou encore plus importants qui révèlent la nécessité de poursuivre, entre nous, l’aventure de rechercher des voies et itinéraires pour arriver aux enfilages culturels. Et le faire sans méconnaître que dans l’art
[…] heureusement, il n’existe pas le pour toujours, le permanent, et encore moins, le définitif, il n’existe que l’éternel […] et regardé de cette manière, c’est une révolte constante, une subversion pacifique et prodigieuse.(6)
Le cinéma des Caraïbes s’inscrit à l’heure actuelle dans les dynamiques multiples de ses sociétés contemporaines et, avec cette première présentation, assume le risque de jouer ses cartes avec le seule énoncé de son gentilé qui, sans aucun doute, semble réduit et petit quand il est comparé à « latino-américain et caribéen », large dénomination employée aux festivals et congrès.  Je crois que, dans ce sens, ce projet est un défi important qui enrichira cette fraternité de tous dans Notre Amérique, tout en donnant de l’éclat et une plus grande personnalité à l’une de ses parties, en créant un circuit de visibilité d’exposition pour la production cinématographique des îles antillaises qui ne remplacera pas, mais rendra plus intense et actif son cinéma dans les espaces communs continentaux et internationaux. Les cinéaste l’exprimaient ainsi dans leur déclaration « La défense du cinéma est la défense de l’identité nationale », formulé au Mexique, en 1999.
Les cinéastes d’Amérique latine et les Caraïbes viennent à l’aube du nouveau millénaire convaincus que leurs cinématographies doivent trouver les espaces qu’elles méritent.»(7)
La première Présentation itinérante… a exposé un programme d’oeuvres de fiction, d’animation et documentaires qui, à partir de leur focalisation multiple, révélaient les Caraïbes dans leurs histoires et leur quotidienneté, à partir d’ouvrages déjà réalisés par des artistes de la région et leurs diasporas.  La présentation est née d’un cinéma déjà existant que demandait une plus grande visibilité et qui révélait dans son programme les Caraïbes insulaires dans leurs intensités culturelles, environnementales et identitaires, avec des ouvrages pénétrants sur la ritualité des systèmes de croyances, les camouflages de la sexualité et les tabous des marginalisations sociales, les problèmes face aux pandémies transmissibles et les impacts climatiques, les incongruités politiques et les groupes humains qui se déplacent dans des migrations incessantes.  Enfin, un cinéma qui, sans méconnaître les problèmes du langage social, humaniste et esthétique de ces temps, appartient à un lieu dans ce monde. Celui-ci.
La Deuxième Présentation itinérante des films des Caraïbes fut convoquée, consacrée cette fois à l’enfance et à la jeunesse.  La traversée est reprise et l’itinéraire de l’image avancera d’une île à l’autre avec un message culturel et la grande volonté de faire que la communauté se reconnaisse sur le écran avec ses vicissitudes et nouveaux rêves.
Notes :
1. Projet de l’Institut cubain de l’art et l’industrie cinématographiques (ICAIC) et le ministère de la Culture jamaïcain sous les auspices de l’UNESCO.

2. Voir, Alejo Carpentier, El camino de Santiago, édition critique à la charge d’Ana Cairo, La Habana, Arte y Literatura, 2002, pp. 108-111.

3.  Voir, Ricardo E. Alegría, Las primeras representaciones gráficas del indio americano. 1493-1523. San Juan, PR, Centro de Estudios avanzados de Puerto Rico y el Caribe, 1986, pp. 22-23.

4.  Voir, Viajeras al Caribe, sélection, prologue et notes de Nara Araújo, La Habana, Casa de las Américas, 1983.

5.  Augusto Roa Bastos, «El mundo de la imagen», Nuevo Cine Latinoamericano, no. 6, invierno, 2006, p. 76.

6.  Manuel Antón, «Futuro para armar», Nuevo Cine Latinoamericano, no. 1, diciembre, 2000, p. 17.

7.  «La defensa del cine es la defensa de la identidad nacional», Cine Cubano, no. 147, p. 24.
















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