mercredi 25 décembre 2013

Sigmar Polke, c'est un peintre inclassable.



Sigmar Polke, liberté, égalité, fraternité







À quelques mois de la rétrospective du MoMA de New York, le Musée de Grenoble rend un hommage splendide au peintre du pop art allemand.




Sigmar Polke, c'est un peintre inclassable. Un original à l'inspiration fantasque, à la technique expérimentale d'alchimiste, à la lumière changeante, comme ses triptyques beaux comme le soleil couchant ­(Triptych, 1994, Museum Frieder Burda, Baden-Baden). Et pourtant un peintre qui se reconnaît d'un coup d'œil. Un inventeur de formes inédites, ancrées dans le tissu parfois banal d'un torchon, organiques comme des amibes qui dévorent le cadre de ses grandes taches vives (Leonardo, 1984). Un coloriste extraordinaire qui marie le mauve et l'or pour faire renaître la Voie lactée, le jaune du blé et le vert tendre du pré pour raconter les Jeux d'enfants sous la Terreur (1988), anges poudrés qui jouent au ballon avec la tête d'un ci-gît noble décapité (icône «post-war», entrée très tôt dans les collections du Centre Pompidou). La ­liberté liberticide fut le thème fétiche de Polke, électron libre à la Picabia.


Sigmar Polke, c'est presque un oxymore en soi. Un voisin qui s'est éteint à Cologne en 2010. Et pourtant un étranger, né dans la future Allemagne de l'Est en 1941 à Oels en Silésie (aujourd'hui Olesnica en Pologne), passé à l'Ouest en 1953. Un peintre révolutionnaire, formé d'abord classiquement aux beaux-arts, puis follement débridé sous la baguette de sourcier de Joseph Beuys à Düsseldorf. Un noceur et buveur, haut en couleur comme une fête de la bière. Un dévoreur de presse aux constats accablants, et pourtant à la gaieté tonitruante. Un gaillard jovial à lunettes et un farouche qui gardait bouche close sur son art et pouvait rester tapi derrière la porte fermée de son atelier à Cologne en cas de visite inopportune. Bref, un mythe de la peinture auquel le Musée de Grenoble rend un hommage éclatant, six mois avant la rétrospective du MoMA ­(Museum of Modern Art) de New York.

«Réalisme capitaliste»

Ce qui s'annonçait comme un honorable prologue est déjà une forme d'apothéose (son tableauEntartete Kunst de 1983 transforme la file d'attente devant l'exposition nazie sur l'«art dégénéré» en 1937 en un jeu fantomatique de trame, peinte au pinceau, d'où s'envolent des croix gammées). En rassemblant près de 70 tableaux, de très grands formats souvent sortis des meilleures collections allemandes, Guy Tosatto transforme le Musée de Grenoble en étape obligatoire pour qui aime la peinture, la peinture allemande et la peinture de l'après-guerre à la recherche d'une autre ­dimension plastique (Mercedes, 1994, et sa chemise d'ouvrier cousue sur la toile pop et prolétaire). Le «Réalisme capitaliste» que Polke fonda tout jeune avec Gerhard Richter et Konrad Lueg se voulait une réponse germanique au pop art américain.
Trois raisons donc de s'arrêter dans ce beau musée blanc niché au cœur de l'Île verte, vrai bunker de peinture, que le grand Calder noir identifie, depuis sa naissance en 1994. Grenoblois d'ascendance italienne, Tosatto a rencontré, jeune conservateur, Sigmar Polke dès 1992, l'a exposé au Carré d'art de Nîmes et a su garder ouvert un dialogue réputé impossible. De cette amitié avec un ours et un forcené de l'art qui finissait souvent de peindre après le bouclage du ­catalogue, Tosatto a tiré une connaissance intime de l'œuvre et de ses grands amateurs. Il la met à profit dans un ­accrochage clair comme une révélation.
Des Mains que Polke avait placées ironiquement à l'entrée du Pavillon allemand à la Biennale de Venise 1986, question indirecte sur l'art, au vaste Lapis-Lazuli II qui colle dans la résine la poudre de pierre semi-précieuse, chère à Vermeer et aux maîtres anciens, il y a un univers nouveau, sans limite, qui garde toute sa fraîcheur.
«Sigmar Polke», jusqu'au 2 février au Musée de Grenoble.





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