jeudi 12 juin 2014

Modernités plurielles de 1905 à 1970



Le Centre Pompidou présente pour la première fois une histoire mondiale de l’art, au travers d’un parcours de plus de 1 000 oeuvres, avec 400 artistes et 47 pays représentés.



Expositions
23 octobre 2013 - 26 janvier 2015
de 11h00 à 21h00
Musée - Niveau 5 - Centre Pompidou, Paris

























 Entretien avec Alain Seban, président du Centre Pompidou.

Le Centre Pompidou se « mondialise ». Pourquoi et comment ?
Alain Seban - Dès mon arrivée à la tête du Centre Pompidou en 2007, j’ai placé la globalisation de la scène artistique au coeur de la réflexion à mener. Le rayonnement international du Centre Pompidou est un objectif stratégique. C’est l’enjeu majeur du 21e siècle pour un musée d’art contemporain. L’art est devenu global. Notre collection se veut universelle, elle doit donc refléter cette nouvelle géographie de la création en s’ouvrant aux scènes émergentes, proposer des lectures plus ouvertes de l’histoire de l’art moderne et contemporain, des lectures nécessairement plurielles qui ne peuvent plus se réduire à l’histoire canonique de la modernité occidentale. Cela implique de réorganiser le musée et de trouver de nouveaux moyens pour élargir la collection. Nous avons choisi de mettre l’accent sur la recherche et la coopération qui nous permettent de construire des réseaux de partenaires à travers le monde. Cette ouverture s’exprime d’abord à travers une gestion dynamique des collections et une volonté d’ouverture vers les pays non occidentaux. Créé en 2009, le programme « Recherche et Mondialisation » s’attache à la mise en place d’une politique d’actions et d’acquisitions tournée vers les scènes artistiques émergentes. Cette initiative a déjà favorisé l’achat d’oeuvres d’importants artistes d’Amérique latine et des pays d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud. Le Centre Pompidou a aussi fortement développé sa stratégie d’itinérances internationales et la présentation de ses collections à l’étranger. Il bénéficie du soutien de la Centre Pompidou Foundation qui accompagne pleinement l’enrichissement de notre collection. Basée aux États-Unis, elle a pour mission de soutenir les acquisitions, d’encourager les donations.
Quelle est la spécificité de la collection du Centre Pompidou. Comment voyez-vous l’évolution du Musée ? 
AS - Le Centre Pompidou conserve la plus importante collection d’art moderne et contemporain d’Europe, la plus importante au monde pour ce qui concerne l’art moderne et l’une des toutes premières au monde en incluant la période contemporaine. Cette collection exemplaire compte plus de 95 000 oeuvres. Nous renouvelons périodiquement, comme aucun autre musée au monde, l’accrochage d’une sélection des chefs-d’oeuvre de cette collection, selon des parcours thématiques et chronologiques, et montrons largement et régulièrement les nouvelles acquisitions. Nous devons avoir une gestion de la collection encore plus active. L’évolution du musée passe par une rotation des collections plus rapide, plus souple, plus dynamique. La distinction entre expositions et accrochage permanent tend à s’y estomper. L’heure est à l’agilité : mobiliser et déployer beaucoup plus fortement la collection hors les murs, à la fois en région et à l’étranger, être présents dans un musée existant ou un lieu non muséal avec des oeuvres de la collection à travers un projet de « Centre Pompidou Provisoire ». L’idée est de présenter pour une durée de trois à quatre ans une exposition de quelques dizaines d’oeuvres importantes, permettant une traversée du 20e siècle. Les techniques développées pour le Centre Pompidou mobile – qui a sillonné la France pendant deux ans pour présenter des oeuvres de la collection – seront mises à profit, dans des lieux qui ne seront pas forcément aux normes muséales comme les monuments, les centres commerciaux, les universités… Beaucoup plus largement déployé, en France comme à l’étranger, notre musée doit être encore plus attentif à la promesse que fait le Centre Pompidou à ses visiteurs et qui constitue le coeur de son identité : contribuer à écrire toute l’histoire de l’art des 20e et 21e siècles ; donner accès au plus large public à l’art et à la création de notre temps. Dédiée à l’histoire mondiale de l’art de 1905 à 1970 à travers les oeuvres de 400 artistes de 47 pays l’exposition-accrochage de plus de 1 000 oeuvres que présente en cette rentrée le Centre Pompidou, en est la pleine et magnifique illustration.
Une exposition-manifeste 
Par Catherine Grenier
« Modernités plurielles » est une exposition-manifeste, proposant une vision de l’art moderne renouvelée et élargie. Puisant dans les richesses de sa collection, le Centre Pompidou présente pour la première fois une histoire mondiale de l’art de 1905 à 1970. Au travers d’un parcours de plus de 1 000 oeuvres, avec 400 artistes et 47 pays représentés, cette relecture enrichie de l’histoire de l’art nous plonge au coeur de la diversité exceptionnelle des formes artistiques.
Ouverte aux différents pays du monde comme à des esthétiques très variées, « Modernités plurielles » illustre les rapports complexes et dynamiques entre modernité et identité, universalité et culture vernaculaire, qui traversent toute l’aventure de l’art moderne. Contextuelle, l’exposition resitue les grands maîtres des avant-gardes au sein des réseaux d’échanges et d’émulations artistiques caractéristiques de cette période de remise en cause et d’inventions foisonnantes. Transdisciplinaire, elle montre les croisements et les confluences entre les différents arts (arts plastiques, photographie, cinéma, architecture, design…), comme l’interaction de l’art moderne avec les pratiques traditionnelles et les expressions non artistiques.
Décentrant le regard pour englober des territoires et des pratiques périphériques ou méconnus, elle propose de nombreuses découvertes et établit de nouvelles narrations. Les principaux mouvements, comme les constellations esthétiques plus diffuses, y sont revisités. Ainsi, par exemple, les deux configurations privilégiées de la vie artistique cosmopolite parisienne que sont la première et la seconde École de Paris (avant et après-guerre), sont reconsidérées dans toute leur diversité.
Attentive aux différentes expériences vécues par les artistes dans les pays occidentaux et non occidentaux, l’exposition tresse une histoire commune, tout en proposant les repères historiques diversifiés nécessaires. Pour cela, un principe nouveau de présentation est adopté : une très large documentation, composée de revues d’art du monde entier, est disposée à proximité des oeuvres.
Adoptant une perspective historique, l’exposition suit un principe chronologique. Mais elle témoigne aussi des temporalités ouvertes et discontinues que génèrent les échanges et les processus de réaction des artistes aux propositions formulées par les avant-gardes. En confrontant la perspective canonique de la succession linéaire des mouvements à une histoire tracée à partir des marges et des périphéries, elle substitue à l’histoire des influences une cartographie des connexions, des transferts, mais aussi des résistances. Les différentes sections de salles, organisées comme de micro-expositions, tracent à la fois la fortune internationale de certaines impulsions modernistes (expressionnisme, futurisme, constructivisme, etc.), comme elles présentent les mouvements locaux nés en lien ou en réaction à ces impulsions. S’agissant des années 1950-70, l’exposition met en lumière des thématiques transversales (totémisme, art brut), ainsi que les constellations mondiales qui se développent autour de certains flux esthétiques – les abstractions construites et informelles, le cinétisme, l’art conceptuel – qui se poursuivent jusqu’aux années 1970.
Au-delà de l’élargissement international qui caractérise l’ensemble de l’exposition, celle-ci propose aussi un panorama plus ouvert des formes de la création esthétique. Sont ainsi considérées des esthétiques jusqu’alors peu représentées ou sous-estimées. Une large section est notamment consacrée à la présentation de la pluralité des réalismes des années 1920-1940, notamment développés dans les pays latino-américains. La mouvance du « réalisme magique » et ses échos internationaux sont représentés aux côtés du surréalisme international, dont la présentation est associée à la figure fédératrice d’André Breton. Sur un autre registre, plusieurs oeuvres emblématiques de l’art naïf et de l’art brut sont insérées dans le parcours. Enfin, l’intérêt manifesté par les artistes pour les arts non occidentaux, pour les arts populaires, ou encore pour la vie moderne et les arts appliqués, est restitué dans plusieurs sections qui reconstituent ce « regard élargi » caractéristique de la période moderne. Ainsi, par exemple, la salle consacrée aux « expressionnismes » réunit la gamme très large des artistes (Macke, Kirchner, Nolde, mais aussi Picasso, Matisse, Delaunay) comme des formes d’art, convoqués par l’Almanach du Blaue Reiter, conçu par Vassily Kandinsky et Franz Marc. La section consacrée à la donation Michel Leiris réassocie pour la première fois les oeuvres d’art occidentales de cette collection avec les oeuvres extra-occidentales qui ont été attribuées au Musée du Quai Branly au moment de ce don prestigieux.
La scène artistique française, attirant des artistes du monde entier venant se former ou en exil, a été particulièrement cosmopolite jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les années 1950-1970 ont de même connu un afflux d’artistes des diverses régions du monde. La collection du Centre Pompidou conserve le témoignage de cette histoire, avec notamment de nombreuses oeuvres de scènes artistiques qui sont en cours de redécouverte. C’est le cas notamment, pour la période moderne comme pour l’après-Seconde Guerre mondiale, des artistes asiatiques, en particulier chinois et japonais, auxquels est consacrée une section. L’exposition éclaire aussi la production artistique des artistes du Maghreb et du Moyen-Orient, dont un ensemble d’oeuvres conséquent, complété d’acquisit ions récentes, est notamment présenté dans la section consacrée aux développements des abstractions dans les années 1950-1970. Sont montrées pour la première fois des oeuvres de Baya, Abdelkader Guermaz, Farid Belkahia, ou encore Huguette Caland. Plus étudiées, mais encore insuffisamment connues, les scènes artistiques de l’Europe centrale, dont certains artistes ont contribué au constructivisme comme plus tard à l’art conceptuel, sont mises en avant. Un accent est porté sur des artistes de pays européens parfois négligés, comme l’Espagne, le Portugal ou les pays scandinaves. S’agissant de l’Afrique, cette présentation comprend pour la première fois une salle évoquant les différentes expressions artistiques qui s’y sont développées durant les années 1950-1970, dont l’histoire documentée reste encore à écrire.
Les visiteurs peuvent découvrir plus de deux cents oeuvres inédites de la collection : oeuvres remises en lumière, nouvelles acquisitions et dons. La préparation de cette présentation s’est accompagnée d’un programme de recherche ambitieux sur les collections, ainsi que d’une politique d’acquisition active. L’exposition révèle ainsi toute la diversité d’une collection au premier rang mondial pour sa qualité, mais aussi, ce qui est moins connu, la première pour le nombre de pays et d’artistes représentés.
L'Amerique Latine à l'honneur
L’art d’Amérique latine est présent dans de nombreuses sections de cet accrochage : « Composition universelle » , « Anthropophagie », « Indigénisme », « Art déco », « Totémisme », « Architecture d’Amérique latine », « Cinétisme », et plusieurs salles monographiques. L’exposition révèle l’importance de la collection dans ce domaine : plus de 740 oeuvres, de 176 artistes issus de treize pays différents, parmi lesquelles les fonds historiques remarquables de Joaquín Torres-García, Wilfredo Lam, Roberto Matta. Deux dons exceptionnels de l’artiste Gyula Kosice et de la fondation Jesús Rafael Soto, ainsi que de nombreux dons particuliers d’oeuvres cinétiques et conceptuelles, ont récemment contribué à un enrichissement significatif de la collection, dont cet accrochage témoigne.
Collection monde 
Par Alfred Pacquement
Développer une collection internationale a d’emblée été le projet des responsables du musée national d’art moderne dès lors que celui-ci, ayant rejoint le Centre Pompidou, en constituait l’un des éléments fondateurs. À ses origines, c’est-à-dire avant même sa création en tant que musée d’art moderne, deux institutions coexistaient : l’une consacrée aux artistes français (dans l’Orangerie du Luxembourg), l’autre aux écoles étrangères (au Jeu de Paume des Tuileries). Si la création du musée national d’art moderne et son inauguration en 1947 mit fin à cette séparation, le musée se consacra principalement à la scène des artistes installés en France, scène particulièrement riche alors, Paris accueillant des artistes venus du monde entier.
La naissance du Centre Pompidou donna l’occasion d’une ouverture internationale déterminée, d’abord vers l’art américain si négligé jusque-là, mais aussi selon diverses opportunités qui permit à la collection du musée de s’élargir considérablement. Les expositions successives couvrant les grands centres géographiques de la planète y contribuèrent, du Japon à l’Amérique latine jusqu’aux « Magiciens de la terre », manifestation qui fit date et dont on célèbrera l’année prochaine le 25e anniversaire.
Cette politique s’est amplifiée avec la mondialisation de l’art telle qu’on peut aujourd’hui la constater. Pas une semaine sans qu’une biennale internationale n’ouvre dans un territoire longtemps coupé des grands enjeux de la culture contemporaine. Si les artistes restent attachés à leurs territoires d’origine, ils sont facilement mobiles du fait du développement des réseaux et de la diffusion de l’information. Et si nombre d’entre eux ont des contacts plus ou moins permanents avec telle ou telle capitale occidentale, ils gardent un lien avec leurs pays, contrairement à leurs aînés qui, bien souvent, s’installaient définitivement à Paris, Londres ou New York.
Comme il se doit, cette présence d’artistes a pour conséquence celle d’une nouvelle génération de collectionneurs, de galeries parfois, et d’institutions culturelles publiques ou plus souvent privées qui s’établissent dans des pays émergents. Le musée est en contact avec ce nouveau réseau mondial de l’art et engage de nouveaux projets avec ces interlocuteurs. C’est ainsi qu’à côté de la Centre Pompidou Foundation, qui se consacre activement à la scène nordaméricaine et permet de nombreuses nouvelles acquisitions, de nouveaux échanges ont été établis à travers la Société des amis japonais du Centre Pompidou, l’Association America Latina, le Cercle international de la Société des amis du musée national d’art moderne. Autant de créations récentes témoignant de cette ouverture nouvelle. D’autres liens ont été tissés en Afrique du Sud et au Liban, deux scènes particulièrement actives et qui commencent à être bien représentées dans la collection. Le Moyen-Orient, territoire particulièrement dynamique, fait aussi l’objet de beaucoup d’attention. L’Europe centrale et orientale est très soigneusement explorée, comme l’a montré il y a peu l’exposition « Promesses du passé ». Phénomène essentiel de notre époque : la planète artistique s’est élargie et un musée comme le nôtre se doit d’en prendre acte.
Femmes artistes du monde entier
Cette histoire de l’art, ouverte à un plus grand nombre d’expressions artistiques, convoque aussi un nombre accru d’oeuvres de femmes artistes : ce sont quarante-huit artistes de dix-neuf pays différents que les nombreuses sections qui composent l’exposition représentent. Aux côtés des figures reconnues, comme Natalia Gontcharova ou Sonia Delaunay, figurent ainsi des artistes importantes mais dont le rôle et l’oeuvre ont été oubliés ou minorés, alors même que plusieurs d’entre elles, comme Maria Blanchard, Chana Orloff, Pan Yuliang ou Baya, avaient bénéficié de leur vivant de la reconnaissance de leurs pairs et d’une visibilité publique. Avec entre autres, des oeuvres de Frida Kahlo, Suzanne Roger, Maruja Mallo, Tamara de Lempicka, Alicia Penalba, Behjat Sadr.
Le monde en revues
L’exceptionnel fonds documentaire de la Bibliothèque Kandinsky est mis à contribution pour proposer un parcours à travers les modernités au sein même de l’accrochage « Modernités plurielles ». Des revues d’art en provenance de tous les continents (Ma, Zenit, Proa, Život , Black Orpheus, Souffles ) sont associées à la présentation des oeuvres et guident la visite. Ces documents, d’une formidable qualité plastique, témoignent des connexions, des échanges – parfois des disputes – animant une scène de l’art moderne déjà beaucoup plus mondialisée que ce que nous en avons retenu.
Les modernités asiatiques
La collection du Centre Pompidou permet de présenter au public à la fois les formes modernistes des artistes asiatiques implantés dans les pays occidentaux (Léonard Foujita, Takanori Oguiss, Liu Haisu, Zao Wou-Ki), et celles des artistes de l’école traditionaliste (« Peintures à l’encre ») qui optent pour une alternative culturelle à la modernité occidentale. Parmi ces artistes chinois et japonais qui adaptent la tradition à quelques-uns seulement des caractères modernes, certains sont aujourd’hui très célèbres, comme Zhang Daqian, Wang Yachen et Xú Bihóng. Introduites pour la première fois dans le parcours du musée, ces oeuvres rappellent le débat nourri qui a agité les communautés artistiques asiatiques, entre la volonté de participer à la modernité européenne et celle d’affirmer une identité panasiatique.
Le futurisme international
L’exposition s’attache à montrer l’amplitude des développements internationaux des avant-gardes artistiques. Les salles consacrées au « futurisme international » montrent la pluralité des réactions à la proposition futuriste : simultanéisme, rayonnisme, vibracionisme, synthétisme… Elles réunissent des oeuvres d’artistes de divers courants, traversées par l’idée de la représentat ion du mouvement et de la vitesse : Balla, Boccioni, Duchamp-Villon, Picabia, Larionov. L’ouverture du champ géographique fait apparaître des oeuvres importantes d’artistes moins connus (Yakoulov, Baranoff-Rossiné, Souza-Cardoso). Un focus redécouvre un artiste injustement oublié, Henry Valensi, dont l’oeuvre « musicaliste » se situe au croisement du cubisme et du futurisme.
L’exemple de l’architecture indienne 
Les productions architecturales en Inde constituent des jalons majeurs de la condition urbaine contemporaine : le rapport de la ville à son milieu naturel, celui de l’architecture à son empreinte culturelle et l’accélération de l’économie industrielle sont abordés frontalement par les architectes indiens depuis les années 1950 et déjouent les traditionnelles oppositions entre Est et Ouest, modernité et tradition, culture savante et vernaculaire, industrie et artisanat, modernité et spiritualité. « Modernités plurielles » présente le travail de l’architecte Raj Rewal (1934-) et les nombreux dessins et maquettes d’architecture dont l’architecte a fait don au Centre Pompidou.
















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